Les fascias
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De simples déchets
Carla Stecco est professeure d’anatomie à l’université de Padoue (Italie). Elle est une des rares scientifiques qui travaillent sur les fascias. Pour expliquer ce qu’est le tissu fascial à ses étudiants, elle utilise… un pamplemousse! Les différentes structures qui séparent les quartiers et soutiennent la pulpe du fruit seraient une bonne représentation des fascias qui entourent les muscles humains. «Les fascias forment un organe à part entière, estime la spécialiste. Les ignorer serait comme ignorer les nerfs ou les vaisseaux sanguins!»
La chercheuse italienne, à l’origine d’un atlas réputé des fascias humains, a fondé ses travaux sur les dissections qui lui ont permis de mieux comprendre l’organisation de ces tissus, qui forment un véritable réseau dans l’organisme. Mais pourquoi ses confrères n’ont-ils pas plus étudié ces structures si nombreuses?
«La médecine moderne occidentale continue de très peu considérer ces tissus, confirme Stéphane Genevay, médecin adjoint responsable de la consultation multidisciplinaire du dos des Hôpitaux universitaires de Genève. En cours de dissection, les fascias, ce sont toutes les enveloppes qu’il faut nettoyer avant d’accéder enfin à un muscle propre qu’on peut alors étudier.» Luis Filgueira, professeur d’anatomie à l’université de Fribourg, confirme que les dissections sont rarement l’occasion d’observer et d’étudier les nombreux fascias que recèle notre organisme. Mais il suggère une explication: «En Suisse comme dans beaucoup de pays, il est possible de faire don de son corps à la science. Beaucoup de dissections se font donc sur des cadavres qui ont été au préalable « fixés » avec des produits chimiques. Or ces produits, s’ils permettent de conserver le corps, rigidifient certaines structures, notamment les fascias, dont les différentes couches se collent les unes aux autres». Et si Carla Stecco a tant appris des dissections menées dans son laboratoire, c’est que l’Italie interdit le don des cadavres: «Les dissections sont certes plus rares, mais elles se font sur des corps « frais », qui n’ont pas été traités, et il est alors possible de découvrir les fascias dans leur état naturel», précise le Pr Filgueira.
Résultats à tempérer
Les fascias auraient de nombreuses fonctions, encore mal connues. Ils produisent notamment du collagène, qui en trop grande quantité pourrait entraver la mobilité de certains organes et provoquer des douleurs. Les glissements entre les différents fascias seraient aussi réduits quand le corps n’est pas assez actif. De là à voir dans les fascias la cause et/ou une solution à beaucoup de maux, il n’y a qu’un pas, que franchit parfois par exemple le documentaire d’Arte «Les fascias, les alliés cachés de notre organisme», diffusé en février 2018. Ainsi, le lien direct qui est suggéré entre le fascia thoraco-lombaire et les maux de dos idiopathiques (dont on ne connaît pas la cause), dérange la plupart des spécialistes interrogés. «On sait déjà que les structures (muscles, nerfs, ligaments…) s’adaptent en fonction de l’activité ou de l’inactivité du corps. Eh bien les fascias font de même: rien de vraiment surprenant. Mais il n’y a aucune raison pour que ce fascia soit LA cause de maux de dos a priori d’origines variées», commente Cornelia Caviglia, physiothérapeute chez Medbase à Zurich Wiedikon. Catherine Oberson, physiothérapeute et fasciathérapeute à Genève, rappelle quant à elle: «Les douleurs de dos chroniques pour lesquelles beaucoup de patients consultent ne sont pas associées à une seule et unique cause. Cela ne fait pas de sens d’associer une douleur à un fascia bien précis!». Stéphane Genevay enfonce le clou: «Nous savons aujourd’hui que la majorité des douleurs de dos sont multifactorielles. C’est tentant pour le patient de se dire qu’elles viennent de ce fascia, mais ça semble peu probable».
Pour autant, les recherches sur le sujet ne sont pas dénuées d’intérêt: «Il a été montré que les fascias sont très riches en nocicepteurs, éléments essentiels pour transmettre la douleur, bien plus que les autres structures du dos comme les muscles ou les disques intervertébraux, relève le Dr Genevay. Cela pourrait donc nous faire progresser dans la compréhension de certaines douleurs, notamment celles qui irradient.» D’autres études suggèrent que les fascias seraient aussi sensibles au stress, expliquant pourquoi certaines douleurs peuvent être amplifiées en cas de surmenage.
Reste cette question: une «fasciathérapie» a-t-elle un sens? «Beaucoup de manœuvres, même si ce n’est pas de la fasciathérapie, travaillent les fascias, relève Cornelia Caviglia. En pratique il est difficile de ne travailler que l’enveloppe et pas les structures en dessous, comme le muscle». Stéphane Genevay a une image pour le moins éloquente: «Imaginez un jambon entouré de Cellophane: si vous appuyez dessus, touchez-vous le jambon ou le film plastique?». Certains praticiens sont cependant formés à des techniques censées cibler plus précisément les fascias. Plusieurs courants existent, et les principes diffèrent selon les écoles. Mais leur point commun est une prise en charge globale du patient: «Ce n’est pas une douleur mais une personne qui se présente à vous. La plainte physique est une porte d’entrée, un point d’ancrage, illustre Catherine Oberson. Le travail sur les fascias aide les patients à reprendre conscience d’eux-mêmes et à retrouver confiance». Comme pour toute médecine complémentaire, l’essentiel est de trouver le praticien et la technique qui vous conviennent le mieux, sans oublier de vérifier les références professionnelles de votre thérapeute.