Suicide de la personne âgée : impact sur la famille et les soignants

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suicide

 

 

Il y a des sujets dont on ne parle pas assez. Le suicide de la personne âgée en est un et nous avons choisi de le traiter via cet article. Une formation Proformed est aussi disponible ici : « Dépression chez la personne âgée »

Dr Véronique GRINER-ABRAHAM psychiatre CHU de Brest

Dr Christophe BOUCHE psychiatre CH Quimperlé

 

 

Résumé :

Formés par le Professeur TERRA aux actions de formations prévention des conduites suicidaires, les auteurs ont menés, à la demande de la mairie de Brest, des journées de sensibilisation spécifiques à la souffrance psychique des sujets âgés. Si ces actions sont fréquentes concernant la prise en charge des jeunes, elles sont rares auprès des professionnels et des bénévoles chargés de prendre en charge nos aînés…. Nous nous proposons d’aborder le contenu de ces formations, de réfléchir sur les difficultés rencontrées, les résistanceas et les idées reçues concernant la spécificité du suicide chez le sujet âgé. Au fil de l’année, nous avons été amenés à modifier et à élargir les missions initiales en tenant compte des spécificités du réseau mais aussi de ses limites… et à réfléchir sur l’impact de ces suicides sur ceux qui restent…. Familles comme soignants….

Introduction :

Le décès par suicide est l’une des principales causes de décès de la personne âgée avec le cancer et les maladies cardiovasculaires. Le suicide létal des personnes âgées représente plus du double de décès que le suicide de la population des adolescents, ceci pour le suicide actif. Ces données ne comprennent pas les conduites suicidaires comme l’inattention volontaire sur la voie publique (par exemple, le fait de traverser une route nationale volontairement sans regarder la circulation)(le suicide par accident de la route doublerait les chiffres )ou les équivalents suicidaires comme le syndrome de glissement, l’arrêt d’un traitement qui a des conséquences graves , voire mortelles tel que l’arrêt de l’insuline chez un diabétique ou le non changement de pile chez un cardiaque, la pratique d’un sport à risques pouvant provoquer la mort (sport violent chez un cardiaque), par euthanasie, demande d’une injection létale. Les tentatives de suicide sont moins fréquentes que chez le sujet jeune mais elles sont plus souvent létales. Les femmes âgées se suicident le plus souvent par surdosage médicamenteux et défenestration, l’homme âgé par arme à feu ou pendaison. Cependant le suicide de la personne âgée reste un tabou dont on ne parle pas, et pour lequel on rencontre d’importantes résistances non seulement à le reconnaître, mais encore plus à effectuer des formations de prévention. Nous évoquerons dans un premier temps, les résistances sociales qui expliquent le désinvestissement pour ce sujet, puis les résistances des familles et des équipes soignantes alors que l’impact du suicide des sujets âgés sur ceux qui restent est majeur et totalement nié. Il nous apparaît important de repréciser la clinique suicidaire du sujet âgé et les spécificités qui peuvent expliquer le non repérage. Enfin, nous parlerons de notre expérience de formations préventions que nous avons mis en place sur le Finistère depuis le début de l’année 2006.

Epidémiologie :

L’épidémiologie du suicide chez le sujet âgé rencontre beaucoup de difficultés. Il existe en effet de nombreux biais et un tabou à parler du suicide des aînés qui font qu’il est probablement sous évalué. L’avancée en âge ne protège pas de la mort par suicide, c’est même l’inverse. De plus, la crise précédant la mort par suicide est atténuée, voire absente.

A 75 ans, on se suicide 3 fois plus qu’à 25ans et à 85 ans, 4,5 fois plus. Après 75 ans, les hommes se suicident 4 à 5 fois plus que les femmes. Après 65 ans, 75 % des suicides sont le fait de défénestration, pendaison, noyade, 8% par prise médicamenteuse.

Rapport suicide accompli/ T S ?

Entre 15 et 25 ans, concerne 1/22 des hommes, 1/160 des femmes. Après 65 ans, ce rapport passe à 1/1 ou1/2 pour les hommes, 1/3 pour les femmes.

Pendaison, noyade, défénestration…la mort est réellement recherchée. Le rapport au corps n’est plus le même. Les médicaments laissent un corps intact. Chez la personne âgée, le corps fait souffrir. Il s’agit de stigmatiser par le corps quelque chose d’un vécu corporel qu’ils peuvent avoir à ce moment-là.

Les facteurs de risque ?

L’âge, le sexe, les catégories socioprofessionnelles défavorisées, la dégradation physique (douleur, troubles narcissiques, isolement sensoriel), la dépression ou une autre problématique psychiatrique, la limite d’âge énoncée….Il n’existe pas de causalité individuelle et linéaire mais de multiples facteurs socioculturels, environnementaux et psychopathologiques…

Il est important de repérer les facteurs prédisposant (psychosociaux ou de personnalité), le facteur précipitant et les facteurs de protection.

Certains facteurs sont assez spécifiques de cette tranche d’âge. Le traitement de la douleur du sujet âgé est sous-estimé, sous demandé (facteur culturel). La moitié des personnes âgées n’ont pas les traitements nécessaires. La douleur est dépressogène, provoque un repli sur soi, fait sortir de ses habitudes sociales : on ne vit plus sans la douleur, « ma » douleur, au même titre que « mon » conjoint. Les personnes âgées préfèrent arrêter leur vie que continuer avec cette qualité de vie-là. La dimension préventive de l’arrêt de la douleur est évidente. Les soignants doivent impérativement se former !

La dépression est très largement sous-estimée ou surestimée, ce qui revient au même. « Ce n’est pas drôle de vieillir, c’est normal d’être triste. »…. Ou « tous les vieux sont dépressifs, donc on ne traite pas ». 30% des personnes âgées en institution seraient dépressives, seules 30% seraient correctement traitées. Les posologies sont inefficaces, l’accompagnement psychologique peu demandé, peu proposé par les médecins généralistes.

Les formes cliniques de dépression sont différentes On retrouve des tableaux de dépressions hostiles, agressives, de dépressions à masque somatique, de dépression à type de désinvestissement sans douleur morale, sans idées suicidaires, de dépressions délirantes ou pseudodémentielles.

La perte de la sécurité en station debout est elle aussi assez spécifique, de même que la proximité d’une date anniversaire.,ou la limite d’âge énoncée qui permet de faire l’économie de l’angoisse de mort, de la date et l’heure. « 80 ans » est souvent « la » date énoncée…

La question de l’isolement sensoriel (vision, audition olfaction) est un facteur de risque bien plus fréquent qu’on ne le pense .Ne plus voir, ne plus entendre, ne plus participer aux moments familiaux ….Trop peu de gens sont correctement appareillés. Il est important de penser à un appareillage auditif précoce.

Il y a plusieurs sortes d’isolements : l’isolement social, l’isolement sensoriel, l’isolement dans l’espace du fait de limitations articulaires, de même que les insuffisances cardiaques ou respiratoires ; Les incontinences urinaires, les mauvaises odeurs jouent un rôle similaire d’obstacle à la rencontre avec autrui.

De même, certaines conditions de vie, le veuvage, l’accès difficile à un appartement, la réduction des possibilités financières, la solitude (23% des plus de 65 ans contre 17% dans la population générale). Mais l’isolement physique ne suffit pas pour définir la solitude. Celle-ci repose d’abord sur le sentiment personnel d’être seul. Certaines personnes peuvent parfaitement tolérer cet état, alors que d’autres au contraire en souffrent .Il y a des isolations sociales que la mise en contact avec d’autres personnes arrive à compenser et l’isolation émotionnelle que seule la rencontre avec un partenaire privilégié arrive à compenser . C’est cette dernière qui est responsable d’évolutions pathologiques aux conséquences imprévisibles.

Les équivalents suicidaires sont aussi assez spécifiques. On retrouve l’arrêt de traitement vital, les conduites à risques pouvant provoquer la mort, l’anorexie, l’euthanasie, le syndrome de glissement (réduction de l’alimentation, de la locomotion, de la communication, et ressenti de renoncement vécu par les aidants).

Les pertes économiques, physiques, sociales, psychologiques, l’apparition d’une dépendance dans la famille : la situation familiale est intenable, réveille des problématiques névrotiques.Les changements de domicile et les conditions de ces changements sont très importants. Ce changement a-t-il été préparé ou se fait-il dans l’urgence ?

La majorité des institutionnalisations se fait sans l’accord de la personne âgée et non préparée. La famille et la personne âgée sont dans la culpabilité. La prévention consiste à s’organiser pour préparer l’arrivée de la personne âgée, même si il n’y a pas d’autres solutions. Il est important que la personne âgée dise : « il n’y a pas d’autres solutions ». Ceci est une manière de ne pas lui enlever son autonomie.

On ne se suicide pas plus en institution qu’à domicile, excepté dans les trois mois qui suivent.Il existe une culpabilité à gêner les enfants : « je n’ai plus de place ». Les 2/3 des suicides ont lieu à domicile, les autres lieux sont les maisons de retraite (environ 100 /an), les hôpitaux, lieux publics, hôtels. Alcoolisme ? Les données sont controversées, il n’y aurait pas de corrélations entre alcool et suicide, mais la prise d’alcool favorise le passage à l’acte. Localisations géographiques les plus touchées sont le nord de la France, la Manche, et la Bretagne et les périodes de l’année de l’année les plus sensibles seraient la période des fêtes de Noël et l’été lors du départ en vacances des enfants.

Résistances sociales :

La prévention du suicide des sujets âgés est peu investie à différents niveaux. Les chutes des personnes âgées sont particulièrement redoutée par la famille et les organismes de santé, car la dépendance induite par l’alitement est coûteuse en en temps et en argent…. En revanche, le suicide létal de la personne âgée peut représenter dans une vue à très court terme, une économie pour les pouvoirs publics, une retraite en moins, une économie pour les assurances, la nécessité des soins médicaux s’intensifiant au cours du vieillissement.

Cette vue à court terme est dangereuse par l’ignorance des effets que le suicide de la personne âgée a sur les enfants adultes, surtout les petits enfants adolescents et même sur les générations suivantes. C’est toute une conception de la vie et de la transmission qui se trouve empoisonnée par à travers les générations. Ces conséquences sont diluées, mais très actives et guère chiffrables.

La prévention du suicide de l’adolescent est directement liée à la prévention du suicide des grands-parents dans des mécanismes identificatoires transgénérationnels.

L’adolescent se structure en grande partie en fonction de ses identifications à ses grands-parents notamment ceux du même sexe. Cette identification restera prégnante pour le reste de la vie, que l’adolescent ait connu ou pas ses grands-parents. Cette identification consciente ou inconsciente s’effectue à travers la transmission de l’inconscient familial, pour le meilleur ou pour le pire, le pire restant l’absence de transmission de repérage des figures grands-parentales pour des raisons d’oubli ou de déni. Si les adolescents sont mis en position de parents de leurs propres parents, il n’est pas rare qu’ils passent à l’acte suicidaire par les mêmes procédés que leurs grands-parents.

Le suicide de la personne âgée dans une dimension de sacrifice a été valorisé et encouragé dans des ethnies pour des raisons de survie économique quand la personne âgée dans sa non rentabilité représente un poids et une bouche de plus à nourrir.

La perspective de la légalisation de l’euthanasie se renforce par le mouvement fondé sur l’idée de mourir dans la dignité. Ceci tend à valoriser de plus e plus une incitation au suicide de la personne âgée, en lien avec l’inquiétude provoquée par la perspective du vieillissement de la population et de ses répercussions financières à venir.

Les résistances dans la famille.

La mort de la personne âgée est considérée dans l’ordre du courant de la vie, contrairement à la mort du plus jeune considérée contre nature. L’absence ou la rupture des liens familiaux entraînent cette conception de la famille et cette résistance à la prévention du suicide de l’âgé.

La famille est parfois exténuée par le poids de l’agressivité ou de la dépression de la personne âgée, concrétise les mouvements de rupture ou l’absence de liens affectifs, en particulier à la suite d’abandons, de désintérêt précoce pour les enfants, de ruptures conjugales successives. Dans la banalisation des ruptures et du désinvestissement, les enfants adultes ne manifestent guère que de l’indifférence à l’annonce du suicide. Parent maltraitant ou abuseur sexuel notamment des petits enfants, leur suicide est bien accueilli voire souhaité. (comme le suicide des pervers qui provoque l’indifférence ou l’approbation de l’entourage.)

On rencontre aussi des situations de renversement de l’oedipe (quand tu seras petite et que je serai grand…je te traiterais comme tu m’as traité enfant…)

L’enfant laissé seul dans une détresse psychique aura tendance plus tard à laisser seul son parent âgé dans la détresse psychique. Ces enfants devenus adultes ne sauront pas protéger leur parent des traumatismes et leur prodiguer la tendresse nécessaire pour un fin de vie heureuse et au moins supportable.

Quand la tendresse n’est plus là pour contenir la détresse et l’angoisse, la personne âgée, comme elle a pu le faire auparavant au cours de sa vie, se raccroche à l’image à donner au groupe social : force, non douleur, non souffrance, dignité. Quand cette image est très importante sur le plan culturel, le suicide peut être valorisé socialement.

Les résistances de la part des soignants :

Celles-ci peuvent être identiques à celles de la famille ! Les soignants peuvent dénier la dépression ou le risque suicidaire, en posant de manière abusive le diagnostic de maladie d’Alzheimer. Cette tentation est grande devant l’angoisse et l’impuissance à traiter la dépression du sujet âgé, à faire face à leur agressivité, la violence d’une personne qui se présente faible au moins physiquement. Ce déni sert de couverture en cas de syndrome de glissement ou de passage à l’acte suicidaire…

Le déni qui dissimule la dynamique suicidaire à l‘origine du décès permet au soignant d’éviter de devenir victime ou paratonnerre de la violence de certains familles en souffrance, tentées de recourir à des poursuites. Il évite aussi à a famille des difficultés avec les assurances. Il protège la famille du choc d’une telle révélation, comme si les soignants avaient l’illusion de protéger la famille de mouvements négatifs de culpabilité ou d’atteintes narcissiques. Or, comme le disait Freud, « l’inconscient n’ignore rien ». Si le choc est apparemment évité, le doute et le secret sapent en profondeur la stabilité de la famille à travers les générations.

Le déni permet aussi de protéger l’institution quelle soit une institution hospitalière ou une maison de retraite, afin d’éviter des problèmes juridiques, des contrôles d’instances supérieures et de préserver l’image de marque de l’établissement. Il permet aussi de se protéger de cette institution, qui si elle est malade, risque de rejeter la responsabilité du suicide sur un soignant, qui fera office de bouc émissaire de la souffrance institutionnelle et pourra être licencié ou muté. L’institution fonctionne parfois comme une famille violente et s’il y a des dysfonctionnements, elle peut chercher un portefaix à exclure.

Le soignant peut aussi être épuisé dans la relation thérapeutique et éprouver de grandes résistances lorsque la personne âgée s’isole avec complaisance dans la dépression et la dépendance avec de nombreux bénéfices secondaires…

Le soignant peut aussi être dans l’impossibilité de prise en charge de ce risque lorsqu’il doit faire face à la fois à la dépression de ses propres parents âgés et à leur vieillesse. Si les soignants deviennent promoteur d’euthanasie, ils sont dans un renversement radical de leurs fonctions.

Le risque suicidaire et la dépression sont beaucoup plus difficiles à détecter et à évaluer chez les personnes âgées. Les situations sont difficiles et angoissantes.

Le placement en maison de retraite préserve le plus souvent la personne âgée du suicide par des soins et une meilleure surveillance. Mais s’il a été mal préparé par les soignants, il peut précipiter un acte suicidaire juste avant le placement ou provoquer un syndrome de glissement juste après le placement.

La dépression de la personne âgée peut être réactionnelle à une détérioration physique et une perte de capacité. Elle peut aussi correspondre à une phase de début d’une détérioration neurologique encore discrète, telles que le Parkinson, la SEP, la maladie d’Alzheimer. Un événement traumatique récent peut réveiller un noyau traumatique ancien, et il faut y penser lors d’une entrée en institution. Dans ce cas, la dépression est réversible et peut s’améliorer par des entretiens psycho dynamiques. Parfois, au contraire, la dépression s’aggrave, entraîne différents troubles du comportement (alimentaire, du sommeil) qui induisent des perturbations somatiques puis des risques suicidaires très élevés. La prise en charge médicale et infirmière doit toujours se faire afin de rééquilibrer les perturbations biologiques, de préserver une intégration sociale de base et des comportements de survie élémentaires…

Eviter des diagnostics sombres et hâtifs qui réduiront la dépression à une perte de capacités fonctionnelles évolutive et irréversible. De nombreuses personnes âgées vivent dans la hantise de voir apparaître des symptômes d’oubli, de difficultés d’orientation, envisagent très sérieusement de se suicider si le diagnostic d’Alzheimer est posé. Ceci parfois dans un pacte suicidaire le plus souvent entre conjoints et parfois avec les enfants par différentes formes d’euthanasie. Le diagnostic d’Alzheimer tombe alors comme un verdict irrévocable et parfois effrayant dans ses conséquences, bien pire que celui de cancer. Ce diagnostic renforce la conviction d’une impossibilité à soigner et à guérir. Ce diagnostic hâtif représente une véritable violence médicale inductrice de comportements suicidaires, qui renforce dans certaines familles la défense par le clivage face aux affects dépressifs inhérents au groupe familial. Ce diagnostic justifie par avance un passage à l’acte suicidaire et préserve les familles d’une culpabilité trop effrayante face aux fantasmes oedipiens d’abandon.

Les preuves de cette maladie restent actuellement post mortem… Et si tous les cerveaux morts se ressemblent, chaque cerveau vivant est différent….

Le test thérapeutique par la prescription d’antidépresseurs est dangereux. Si l’état s’améliore, on parlera de Faux Alzheimer, ce pour qui le traitement reste sans effet sont de vrais Alzheimer …. Et on s’arrête là….

Il existe donc le désir de tout expliquer par l’organique, le manque de fer, de magnésium, le cancer, l’Alzheimer, exactement comme chez l’adolescent… Tout expliquer par l’organique répond à des attentes ! Il permet d’oublier les traumatismes passés, d’enterrer les secrets de famille, de donner une explication définitive et cernable, rassurante, qui dans sa dimension d’incompréhensible et d’absurde, tourmente les familles et les soignants… (« il s’est penché par la fenêtre, il n’a pas fait gaffe, il s’est trompé dans son insuline, il n’avait pas ses lunettes, il a voulu nettoyer son arme, quelle idée !, il a dû rester coincé dans son sac poubelle et s’est empêtré…. Etc., j’en passe… »). Tout faire pour préserver l’entourage d’un sentiment de culpabilité insupportable… ..

Les facteurs de risques :

Trois axes :

  • Risques liés aux résistances socioculturelles
  • Risques liés à la conjonction de pertes et de désinvestissement propres à la vieillesse
  • Risques liés à une conséquence de l’angoisse de mort, l’angoisse de la souffrance psychique et physique.

Certains de ces facteurs sont étonnamment proches des facteurs de risques qu’on retrouve chez l’adolescent ….L’adolescent est prisonnier de ses fantasmes et de ses propres jeux avec la mort, la personne âgée est elle, prisonnière de la réalité de la proximité de la mort. La personne âgée perd sa jeunesse, sa beauté du corps et l’érotisme qui lui est associé, ses capacités physiques à dépasser, son autonomie psychique, l’efficacité physique et psychique liée à la rapidité physique et psychique et à l’instantanéïté (ex : jeux télévisés à la mode), la surexcitation psychique et physique intérieure et extérieure, la surinformation ….

Toutes ses pertes sont associés au rejet des valeurs de transmission (de souvenirs, d’histoires) des valeurs de l’intériorisation, de la sublimation des pulsions particulièrement importante au troisième âge qui va de pair avec la solitude et le silence (non plus vécus comme un temps nécessaire à l’intériorisation et à la sublimation, mais vécus comme une menace d’effondrement dépressif), et à la réactivation de l’absence de la capacité à être seul qui est un facteur de risque important.

Parfois, l’affaiblissement de la valeur de l’intériorité induit une recherche de repérage narcissique dans l’image que l’individu se fait de son propre corps. Il peut alors se produire l’illusion d’annuler l’idée du vieillissement par l’illusion d’avoir un corps jeune, grâce à des passages à l’acte sexuels avec des partenaires très jeunes qui ont eux ou elles-mêmes l’illusion d’une toute puissance réparatrice, capable de contrer le vieillissement. Parfois, cette collusion d’illusions engendre un enfant qui aura le devoir inconscient de maintenir l’illusion de jeunesse de son parent et de le préserver de la mort, ce petit dernier, bâton de vieillesse….

Les hommes suicidants, (car il s’agit plus souvent d’hommes !), pris dans cette problématique (une fois que leur emprise matérielle et financière est dépassée) sont particulièrement difficiles à prendre en charge. Si les risques suicidaires sont évités, apparaît alors un risque de somatisation brutale.

Pourquoi moins de femmes ?

La capacité d’adaptation aux changements de la femme trouverait son origine dans le corps et la maternité. Le corps de la femme est soumis à des cycles, la maternité induit des changements importants au niveau du corps, des relations et des interactions. Les interactions avec l’enfant incitent de façon constante la mère à s’adapter à des changements parfois imprévisibles dans l’éducation. Si elle aide l’enfant à accepter les changements, la réciproque est vraie, souvent de façon très heureuse. L’enfant provoque des ouvertures inattendues quand le lien est suffisamment bon. La promotion de cette capacité d’adaptation aux situations nouvelles représente un aspect de la prévention, mais qui s’établit sur des facteurs éducatifs très précoces. Il y a certes toujours un grand choc de se sentir enthousiaste et jeune et de voir ce sentiment de jeunesse remis en cause par le miroir. … mais l’inconscient et le préconscient ne vieillissent pas et si le moi sait s’associer à ces précieux alliés en particulier par le rêve, la croissance psychique continue jusqu’à la mort.

Les signes précurseurs :

Ce sont les mêmes que pour les autres populations. Cependant, ils sont associés à des signes spécifiques.Le désinvestissement est totalement envahissant, atteint les actes de la vie quotidiennes mais aussi des activités de loisirs très passives comme la télévision .L’abandon des derniers intérêts concerne les activités corporelles axées sur la sphère orale et anale dans une attitude d’inertie passive. L’expression d’une plainte de fatigue et de lassitude de la vie, la perte de mémoire et des capacités d’orientation temporospatiale, la dépression confusogène qui alterne avec des prises de conscience brutale de la réalité peuvent pousser le malade à l’acte suicidaire très brutal.La capacité d’adaptation aux nouvelles situations est un indice précoce et très précieux de la qualité de vie au cours du vieillissement. Certains sujets sont figés dans une structure psychique fragile sans réelle capacité d’adaptation. Ces sujets se caractérisent par leurs propos centrés sur leur apparence et leurs fonctions corporelles, leurs actions proches dans le temps et l’espace (pensée à court terme attachée au quotidien, faire le marché ou la vidange de la voiture) et l’absence d’expression de leurs sentiments, émotions, souvenirs. Il existe une rigidité comportementale et psychique, une réticence aux déplacements, aux nouveaux itinéraires, une fermeture sur les nouveautés ou l’extérieur, une absence de buts à long terme, une absence de changement de rôle possible. Ces personnes se font un devoir d’être un modèle pour leurs enfants et petits enfants, ont le sens de la dignité, de l’indépendance et utilisent le déni comme principale moyen de défense.

Ces sujets sont à haut risque suicidaire.

Les signes précurseurs dans l’expression verbale se manifeste par l’adieu aux relations et aux proches, l’expression des dernières volontés avec remaniement de son testament, révision de ses assurances vie, achat de tombe, dons plus ou moins importants aux enfants, petits enfants et associations, décision de dons d’organes, ou de don de son corps à la science, préoccupation du devenir des animaux domestiques…Plus d’un tiers des personnes âgées préparant u suicide prennent contact avec leur médecin traitant dans les jours qui précèdent l’acte et 80% dans le mois qui précède.Si la question du désir de suicide est posée directement, ces personnes répondent aussi spontanément dans la mesure où leurs craintes vont pouvoir être déposées…. Et la prise en charge débutée….

Les différents niveaux de prévention :

La prévention primaire 

Elle pose bien évidement plusieurs questions :

  • La question du travail de vieillir dans notre société.
  • La question du statut social et de l’insertion sociale dans notre société (mort, maladie, déchéance)
  • La question de l’individu et de sa capacité à être dans le vieillissement (pics de suicide des 62-65 ans)
  • Le travail de vieillir commence très tôt chez l’enfant qui grandit, se poursuit à l’adolescence, la quarantaine, la soixantaine, le grand âge.

Des évènements simultanées se produisent: la retraite (position sociale différente, réinvestissements possibles et impossibles), le départ des enfants(surtout les mères au foyer sans enfants à charge), l’arrivée des petits-enfants (pousse vers le haut),le décès de ses propres parents qui nous met face à notre angoisse de mort (le prochain sur la liste, c’est nous )

« Moi, je suis toujours jeune jusqu’au jour où … » Il y a des mécanismes de défense qui, un jour, ne vont plus tenir.Cette prévention se fait dans les écoles, chez les enfants. Le cercle familial est protecteur : la proximité affective, les appels téléphoniques, les rassemblements réguliers.

Comment, aujourd’hui, construire la famille de demain et d’après-demain ?

Nous avons l’habitude de vivre à 3 générations .On ne sait pas encore vivre à 4 générations, voire 5 générations …

La prévention secondaire

Repérer les personnes à risques, les signes de la dépression, les différents masques de la dépression du sujet âgé (pseudo démentielle, anxieuse, hostile, délirante, à masque somatique) et les traiter, reconnaître les signes précurseurs spécifiques souvent plus insignifiants et moins théâtraux que chez le les plus jeunes. Etre vigilant en institution devant certaines attitudes, comme le dessaisissement de Soi. Certaines personnes vont se mettre aux mains des autres, ne choisissent plus rien, se laissent faire, vont se fondre dans l’institution en déléguant leur angoisse de mort à d’autres. Il n’y a pas de pulsion de vie, ni de pulsion de mort

La prévention tertiaire

Auprès des personnes qui ont fait un geste suicidaire, sans avoir envie de mourir (phlébotomie, prise médicamenteuse) La dimension de l’appel est présente. Il existe une dimension agressive vis-à-vis des enfants, des équipes, une demande affective.

Notre expérience brestoise :

C’est à la demande de la mairie de Brest et d’une association d’aides à domicile en milieu rural que nous sommes intervenus.

Le public formé comprenait essentiellement des directeurs d’institutions, des bénévoles (alma 29(antenne téléphonique maltraitance personnes âgées), ORB (office des retraités brestois), des assistantes sociales, infirmière du CLIC (centre local d’information et de coordination),des aides à domicile, aides-soignantes.

Le groupe ne doit pas être supérieur à 15 personnes.

Contenu et déroulement de la formation :

La matinée de la première journée est consacrée au thème du vieillissement et à ses représentations. Nous utilisons la technique du blason (ce qu’est et ce que n’est pas le vieillissement sur deux colonnes et illustration par des photos ou images) sur le mode d’ateliers interactifs en petits groupes.

Puis, nous présentons les différents modèles de compréhension du vieillissement, et les différentes expressions de la souffrance psychique chez le sujet âgé.

L’après-midi de la première journée aborde plus spécifiquement le thème du suicide du sujet âgé.

Nous commençons par un travail en groupe sur les idées reçues concernant le suicide des sujets âgés. Chaque groupe doit répondre aux affirmations suivantes :

Consigne : encercler ce qui correspond à votre perception de la justesse de chaque énoncé

  1. Les personnes qui veulent se suicider ne donnent pas d’indication sur leur intention

    à leur entourage avant de le faire : Vrai – Plutôt vrai – Plutôt faux – Faux

  2. Le geste suicidaire résulte bien d’un choix : Vrai – Plutôt vrai – Plutôt faux – Faux

  3. Pour se suicider, il faut être courageux : Vrai – Plutôt vrai – Plutôt faux – Faux

  4. Il est normal de penser au suicide quand on est vieux et malade : Vrai – Plutôt vrai – Plutôt faux – Faux

  5. L’amélioration qui suit une crise suicidaire signifie que le risque est passé : Vrai – Plutôt vrai – Plutôt faux – Faux

  6. Le suicide est héréditaire ou se retrouve dans les mêmes familles : Vrai – Plutôt vrai – Plutôt faux – Faux

  7. Les personnes âgées suicidaires sont bien décidées à mourir : Vrai – Plutôt vrai – Plutôt faux – Faux

  8. Parler du suicide à quelqu’un peut l’inciter à le faire : Vrai – Plutôt vrai – Plutôt faux – Faux

  9. Les personnes qui menacent de se suicider ne le font que pour attirer l’attention : Vrai – Plutôt vrai – Plutôt faux – Faux

10. Les personnes qui pensent au suicide souffrent souvent d’une maladie mentale : Vrai – Plutôt vrai – Plutôt faux – Faux

Cet échange est très constructif, souvent houleux, et donne lieu à de multiples questions dont la plus étrange reste celle-ci : « la prise d’une capsule de cyanure avant d’être torturé par les nazis est-elle un vrai suicide ? »…

Puis nous abordons l’épidémiologie des phénomènes suicidaires et de leurs équivalents, la notion de crise suicidaire et des facteurs de risque avant de conclure cette journée.

La matinée de la seconde journée est consacrée à l’accueil et aux réflexions éventuelles ou questions restées sans réponses.

Après une partie clinique et psychopathologique, les groupes vont participer à un jeu de rôle : le cas de Blanche, une femme de 83 ans, veuve, qui vit seule à son domicile, s’est récemment fracturée la jambe et dont la majeure partie des enfants souhaite l’entrée en institution. (Cf. infra)

Le groupe est divisé en groupes de trois personnes. Sur les trois, l’un des participants va jouer le rôle de la vieille dame, Blanche, le deuxième jouera un intervenant à domicile qui varie selon la constitution professionnelle du groupe (soit une aide ménagère, une assistante sociale, un médecin généraliste, un visiteur bénévole), le troisième se chargera de prendre en note tous les propos de l‘intervenant à domicile.

Des éléments précis concernant l’histoire, les antécédents, l’état clinique,le degré d’intentionnalité suicidaire de Blanche sont donnés uniquement aux participants jouant le rôle de la vieille dame. Aux autres membres de poser les questions adaptées…

A l’issue du jeu de rôle, nous demandons aux membres du groupe d’établir les facteurs de risques, d’urgence, de dangerosité,de réfléchir aux facteurs de protection et de proposer une conduite à tenir,à partir de la position dans laquelle ils se trouvent.

Le jeu de rôle est important mais nécessite des précautions et une présence des formateurs (expérience douloureuse dans l’un des groupes où se trouvaient deux personnes endeuillées récemment).

Il est donc important d’être vigilants au moment du tour de table et de l’accueil, de repérer d’éventuelles fragilités, de parler d’emblée du caractère déstabilisateur de la formation, et de rester prudents quant aux interprétations.

Des temps d’entretiens personnels à visée d’orientation sont parfois nécessaires, en dehors du cadre du groupe, et souvent au moment des pauses ou en fin de journée, d’où la nécessité d’intervenir à deux .

L’après midi, fin de la formation, va se recentrer sur la notion de prévention (les différents niveaux de prévention), de réseaux (intérêts et limites du réseau), et des modalités d’intervention à travers l’analyse de situations.

Bilan :

Le public attentif, interactif notamment au cours de la deuxième journée, apparemment intéressé et demandeur de ce type de formation.

En particulier, les aides ménagères qui interviennent seules au domicile de personnes âgées isolées en milieu rural et qui sont peu formées aux pathologies du vieillissement, quelles soient physiques ou psychiques.

Les bénévoles ont eux aussi fait part de leur sentiment de solitude et de perplexité dans certaines situations, de leurs difficultés à trouver leur place (et surtout leurs limites) dans un réseau.

Les directeurs d’institution sont plus à l’aise avec la notion de réseau, mais parfois surpris par la clinique de la dépression et du suicide du sujet âgé. Le travail sur les idées reçues concernant le suicide trouve ici tout son intérêt.

Nous déplorons cependant l’absence de professionnels de terrain sur les formations brestoises (peu de soignants, pas d’aide ménagères), alors que le personnel soignant des MAPAD nous fait part de sa demande lors de nos passages !

La publicité pour les formations était-elle suffisante ? Ainsi que le délai pour les inscriptions et la réorganisation des soins ?

Un référent fixe et intéressé par la filière gérontopsychiatrique serait important à repérer et à trouver (Le Clic ? Le réseau gérontologique brestois ?), d’autant plus qu’au cours de la formation, des questions sur des sujets très spécifiques aux institutions gériatriques sont récurrentes…

En milieu rural, les aides ménagères se sont toutes déplacées ou excusées, certaines venant sur leurs heures de travail et non rémunérées le temps de formation ! (entre deux extrêmes d’investissement…il y a un juste milieu à trouver)

La présence du médecin et de l’assistante sociale du conseil général au cours de la quatrième demi journée apparaît très importante pour une bonne dynamique de réseau (et symboliquement !).

Le caractère innovant de la formation nous a fait moduler le contenu au fur et à mesure des journées et des groupes.

Difficultés rencontrées ? :

Dans l’un des groupes, la question de l’euthanasie a été soulevée avec discussions houleuses à la clef. La problématique de l’adolescent suicidaire apparaît elle aussi régulièrement dans les questions, ceci s’expliquant probablement par des analogies psychopathologiques sénescence adolescence. Dans chaque groupe, des situations douloureuses précises ont été abordées, le public de terrain étant malheureusement très confronté au suicide et à la dépression du sujet âgé.

La question de l’institutionnalisation est elle aussi très abordée, ainsi que les limites du maintien à domicile.

Conclusion

Après plusieurs expériences de formations préventions, des axes d’amélioration sont évidents.

Les personnes les moins formées sont aussi celles qui n’ont pas de temps de réunions communes autour de leurs difficultés professionnelles quotidiennes et si il est important de recadrer le sujet, il nous est apparu incontournable d’aborder certains points de manière systématique, au cours de l’évolution des formations.

En particulier, nous avons été amenés à parler des conduites addictives chez le sujet âgé

Et des troubles psycho comportementaux liés aux différentes démences, notamment les troubles thymiques et psychotiques. Les conduites à tenir et les thérapeutiques non médicamenteuses font l’objet d’une attention particulière chez ces acteurs de terrains souvent très démunis.

Une certaine évolution du contenu de la formation qui inéluctablement pose la question des particularités psychopathologiques du vieillissement. Comment peut-on bien vieillir dans notre société actuelle ? Le vieillissement réussi existe- t-il ? Comment s’y préparer ?