A l’occasion de notre formation sur les troubles du comportement chez la personne âgée, nous avons souhaité mettre l’accent sur ce sujet avec cet article. (Formation disponible ici : formation Proformed)
Les troubles du comportement, en particulier ceux associés à la démence, comportent des attitudes intolérables ou inacceptables, tels la violence physique, les errances, les cris, les projections d’objets qui surviennent souvent chez les personnes âgées dépressives ou démentes. Lorsque de tels troubles apparaissent, une évaluation doit être réalisée pour repérer d’éventuels facteurs causaux. La prise en charge comporte principalement des méthodes non-médicamenteuses. Pour autant, l’utilisation des thérapeutiques médicamenteuses peut être nécessaire, en particulier lorsqu’il existe des symptômes psychotiques ou une auto ou hétéro-agressivité.
Article rédigé par Philippe Thomas, Cyril Hazif-Thomas et Richard-Olivier Peix
La psychogériatrie est une double spécialité, psychiatrique et gériatrique. Elle est liée à la psychiatrie car elle prend en charge les patients vieillissants atteints de pathologies psychiatriques anciennes, mais aussi d’apparition récente. Par ailleurs, elle se rapproche de la gériatrie car elle doit gérer les conséquences psychologiques et psychiatriques du vieillissement organique. La dimension bio-psycho-sociale du soin est ici indispensable compte tenu de la complexité des problèmes médicaux et soignants, des interactions avec la dépendance physique induite par les diverses pathologies et par les difficultés psycho- logiques ou relationnelles. Gérer ces difficultés et les troubles du comportement lorsque l’on vieillit est une manifestation de la désadaptation des per- sonnes âgées, comme de l’échec de ses efforts à s’en sortir.
REDÉFINIR LES TROUBLES DU COMPORTEMENT
Les troubles du comportement de la personne âgée sont l’une des causes les plus fréquentes de leur hospitalisation en court séjour psychogériatrique. Un article récent1 précise que cette hospitalisation peut être justifiée si ceux-ci s’aggravent brutalement et durablement, malgré une bonne attitude de l’équipe soignante de l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et de l’entourage à domicile. La rationalité des soins passe par des modalités de prise en charge adaptées pour éviter d’encourager l’utilisation de neuroleptiques volontiers qualifiés de “camisoles chimiques”. Face à ces “vieillards difficiles”, la persistance des désordres comportementaux est fréquemment vécue sur un mode culpabilisant par les équipes de soins, induisant un surinvestissement qui est une des sources de burn-out.
Rappelons qu’il existe des causes psychiatriques aux troubles du comportement, que les antipsychotiques sont parfois indispensables et que le soutien psychothérapique est insuffisant à lui seul dans les processus hallucinatoires, comme il le serait dans une forme grave d’épilepsie.
UNE ORIGINE COMPLEXE
Les troubles du comportement de la personne âgée ont une origine complexe. Rarement un seul problème est en cause et, par exemple, une pathologie somatique aiguë, un trouble préalable de la personnalité, la iatrogenèse, des difficultés d’intégration dans une nouvelle structure d’hébergement ou un conflit intrafamilial se combinent pour précipiter l’écologie relationnelle d’une personne âgée. Par définition, un trouble du comportement est un comportement inadapté à la norme attendue. Cela implique un écart entre l’expression verbale et non verbale du malade, teintée par ses traits de caractère, par ses modalités propres de transaction dans la famille et par la réminiscence éventuelle d’événements de vie antérieure. Tous ces éléments personnels s’entrechoquent avec les règles présupposées, voire imposées par ceux ou celles avec qui la personne âgée est en relation.
Repères, rites et interactions
Les troubles du comportement posent le problème des interactions de type contenu-contenant qui sont en soi une source de tension, de stress et de conflits. Beaucoup de personnes âgées ont leurs habitudes alimentaires et vestimentaires, leur rythme de vie propre. L’environnement qui les accueille désormais doit gérer au mieux leurs capacités d’adaptation. Remettre en cause ces usages établis depuis de nombreuses années n’est pas une mince affaire. Une personne âgée fragile, n’ayant jamais vécu en collectivité, peut être confrontée à une institution où les règles de fonctionnement sont vécues par celle-ci comme hyper normatives. Les contraintes deviennent incontournables et, pour peu que la personne âgée soit psychorigide, ce qui arrive souvent, elles seront difficiles pour elle à élaborer. Il ne s’agit pas ici de dénoncer le manque de souplesse des personnes âgées et/ou les excès de règles dans les établissements, mais simplement de constater que lorsque l’on marche avec des chaussures trop petites, ni les chaussures ni les pieds ne sont responsables des douleurs, et que la pathologie est simplement dans l’interaction.
Isolement et dépression
Ajoutons à cela que la personne âgée peut être dépressive ou présenter des troubles cognitifs. Elle peut être également insuffisamment prise en charge par un personnel en nombre limité dans un Ehpad. Le stress du malade, comme celui de l’environnement humain dans lequel il évolue, favorisent l’émergence d’une désadaptation relationnelle.
Un trouble du comportement est l’expression d’une protestation, maladroite et parfois insaisissable ou incompréhensible par l’entourage. L’anxiété, voire l’angoisse ou la panique sont en arrière-plan de la détresse du patient. La dépression est fréquente en effet, en particulier dans un versant hostile. Les symptômes comportementaux et psychiatriques de la démence (SCPD) surviennent lorsque les capacités d’intégration des informations et d’expression du malade ne lui per- mettent plus de maîtriser comme auparavant son environnement. Rappelons enfin qu’un trouble du comportement chez une personne âgée peut être l’expression d’une plainte douloureuse ou d’un problème somatique surajouté à des problèmes démentiels.
Symptomatologie
Par analogie à la schizophrénie, il est possible de distinguer des symptômes comportementaux positifs (agressivité, agitation, déambulation…) et des symptômes négatifs (repli sur soi, démotivation…). Ces derniers sont parfois négligés par les soignants, la personne âgée étant perçue comme tranquille ou aimant soi-disant la solitude, mais ils conduisent en fait rapidement à un désapprentissage, donc à terme à une dépendance surajoutée.
Tout comportement vise à l’adaptation à l’environnement, ce qui implique une triple intégration psychique cognitive, motivationnelle et émotionnelle. Un comportement mal adapté va conduire de facto à un échec de l’emprise sur l’environnement, source d’un stress qui perturbera les processus de la réadaptation comportementale.
Souffrance des aidants versus errance des patients
Les enjeux des troubles du comporte- ment ne sont pas les mêmes pour les aidants et pour le patient. Les premiers cherchent à contenir la situation et sont en demande d’un comportement adapté pour le malade, ou au moins que le problème ne se renouvelle pas. Quant à celui- ci, il exprime un mal-être impossible à élaborer. L’expression de sa souffrance s’intègre dans le sens de son histoire de vie et, bien souvent, le trouble du comportement trouve son émergence dans la réminiscence d’événements antérieurs douloureux. Un vieillard difficile a pu avoir une enfance malheureuse, une vie chaotique et s’en être jusque-là sorti par sa pugnacité et sa volonté, qualités reconnues, mais désormais battues en brèche, car ne correspondant plus à l’image attendue par ses aidants pour une personne de son âge. L’image qu’a la personne âgée d’elle-même est en quelque sorte décalée par rapport aux représentations de son entourage.
Conséquences
Les troubles de la personnalité sont une source fréquente d’entrée en court séjour psychogériatrique. Les patients borderline rendent souvent leur entourage familial dépendant d’eux-mêmes, ce qui est à l’origine d’un fardeau psychologique supplémentaire qui s’ajoute à la charge en soin qu’ils induisent. Ces malades proposent souvent dans leurs interactions avec leurs proches des fabulations mensongères à la limite du délire. Ils ont peu d’accès à l’empathie et manipulent leur entourage avec cynisme pour mieux maintenir leur autorité ce qui est à la fois la source et le palliatif de leur dépendance affective. Dans l’ensemble, ils gèrent mal leur solitude et sont particulièrement agressifs avec les soignants. Leurs troubles du comportement, parfois à type de chutes ostentatoires, sont empreints de théâtralisme autant pour cher- cher à capter l’attention sur soi que pour combler leur vide existentiel, pallier la dépression et une angoisse d’abandon. Leurs pensées sont peu structurées et volontiers chaotiques. Leur trajectoire de vie est traversée de diverses addictions et le diagnostic de démence alcoolique est volontiers porté en excès.
UNE PRISE EN CHARGE MULTIPLE
La prise en charge d’un trouble du comportement est simple comme le début de l’alphabet ! Il faut ainsi définir les antécédents du trouble, c’est-à-dire ce qui s’est passé juste auparavant et ce qui a pu le déclencher, comme ce qui, dans l’histoire du malade, a pu réveiller une telle difficulté. La gestion de la crise a-t-elle été bonne ? L’environnement humain et matériel, selon qu’il est cadrant ou normatif, calme ou exacerbe les choses. Famille et soignants présents au moment du trouble, sans nécessairement être en cause, font partie du système relationnel du malade plus ou moins bien géré par ce dernier. Les conséquences du trouble doivent être évaluées :
• immédiates : le patient peut s’être physiquement blessé durant l’épisode de troubles
• au long cours : les représentations du malade dans l’esprit de sa famille ou des soignants changeant considérablement après un débordement
L’évaluation et la réévaluation du devenir comportemental du malade peuvent être réalisées grâce à la grille Nosger. II s’agit d’une grille d’évaluation indirecte complétée par l’interrogatoire de la personne prenant en charge le malade. Six rubriques sont parcourues par cinq questions permettant de coter six dimensions à partir de l’observation quotidienne du malade : comportement social, troubles du comportement, activités de la vie quotidienne, mémoire, activités instrumentales et humeur.
Les approches non médicamenteuses des troubles du comportement ne sont pas univoques. Elles dépendent des moyens humains et matériels disponibles sur le lieu de vie du malade. Elles ne dispensent pas, rappelons-le, d’une prise en charge médicamenteuse, par exemple pour une dépression, une anxiété aiguë ou une panique, ou pour traiter des symptômes psychotiques.
En matière d’approche architecturale, les mots-clés sont espace et calme. Le troisième Plan Alzheimer 2008-2012, en cours de déploiement, prévoit la création d’unités de soins de longue durée (USLD) psychogériatriques spécifiques et protégées. Des malades déments mobiles ou fugueurs seront accueillis dans des structures où leur nombre sera volontairement limité, dans un espace adapté, suffisamment silencieux pour permettre des animations. S’occuper de malades déments, a fortiori posant des problèmes comportementaux, implique le soutien des intervenants. Il conviendra de prévoir et d’organiser des temps et des espaces de parole pour les soignants.
L’approche relationnelle est très difficile. Elle nécessite une bonne formation du personnel, un soutien, voire une supervision car il est pénible et parfois déprimant d’être constamment en compagnie d’une personne démente. L’aidant doit être en bonne santé physique et mentale. Investir dans la relation humaine avec le malade est une prise de risque affective et personnelle.
Il faut savoir prendre du temps pour s’as- seoir à côté et à hauteur visuelle de la personne âgée, écouter et répondre. Ce temps permet de faire état de ses peurs en cas d’agressivité, celles du malade et les siennes. L’essentiel est d’assurer une congruence entre communication verbale et non verbale, la démence exacerbant la lecture non verbale dans la relation. Le vocabulaire sera adapté à celui de la personne âgée. L’approche relationnelle peut être préventive des troubles. En cas d’agressivité, par exemple, il convient d’inter- venir précocement en identifiant une situation problématique et en intervenant avant qu’elle ne dégénère en crise. Face au délire, il vaut mieux éviter de ramener le malade brutalement à la réa- lité. En effet, le délire est à la fois protection et expression d’un moi fragilisé parce qu’il est l’ex- pression d’une angoisse incontrôlée et bien sou- vent une réminiscence d’événements traumatisants. Il ne s’agit pas pour autant de rentrer dans le délire mais simplement de valider l’état émotionnel.
L’approche des aidants familiaux ou institutionnels est fondamentale. Les SCPD sont des indicateurs de leur tolérance du malade, de leur stress et de leur capacité à faire face. Ils mesurent indirectement le poids de leur épuisement et bien sûr le majorent. La demande des soignants face aux troubles du comportement se fait le plus souvent vers le médecin. Dans certaines circonstances, il est légitime de se demander pour qui la prescription médicale est réalisée : la personne âgée ou les aidants ? La peur de mal faire qui monte en écho derrière le comportement du malade cata- lyse volontiers l’orientation du transfert soignant vers le prescripteur et non vers le patient ce qui l’enferme un peu plus dans un non relationnel avec l’aidant.
CONCLUSION
Les troubles du comportement représentent un signal de détresse adressé de façon maladroite à l’entourage. Dépassée, la personne âgée demande de l’aide, sur un mode où la première réaction de l’interlocuteur est le retrait. Le travail du soignant comme du médecin est avant tout d’écouter et d’essayer de la comprendre, puis de mettre en place un cadre thérapeutique, où l’accueil de la souffrance et la bienveillance ont autant d’importance que la technique.
LES AUTEURS
Philippe Thomas et Richard-Olivier Peix, service hospitalo- universitaire de psychogériatrie, pôle de psychiatrie du sujet âgé et Centre mémoire de ressources et de recherche (CMRR), Centre hospitalier Esquirol, Limoges (87)
Cyril Hazif-Thomas, UF psychiatrie du sujet âgé, CHG de Quimperlé (29)
SOINS GÉRONTOLOGIE – n° 73 – septembre/octobre 2008