Le post-partum représente une étape clé de la parentalité.
Nous pouvons organiser une formation avec Isabelle Dumon qui a, pendant 30 ans, suivi et accompagné les femmes et les couples dans cette période parfois complexe. Cette conférence Proformed sera articulée autour de l’encadrement de la sortie précoce, la mise en place d’un allaitement optimal, la prise en charge des douleurs et enfin le diagnostique et le suivi des difficultés émotionnelles liées à cet événement.
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Nous vous proposons un article très qualitatif écrit par Christian Tournier pour la revue ERES sur le sujet.
En grec, krisis signifie « moment décisif », et de là sont tirées deux significations du mot crise :
– La première est médicale et définit le moment d’une maladie caractérisée par un changement subit, généralement décisif en bien ou en mal
– La seconde est, par analogie, une phase grave dans l’évolution des choses, des événements ou des idées, ou encore une rupture d’équilibre
Le post-partum commence immédiatement après l’accouchement. Certes, la grossesse n’est pas une maladie, mais l’accouchement est bien un changement subit dans son évolution. Nous sommes dans la définition médicale, dans le physiologique et plus exactement dans les bouleversements hormonaux.
Le placenta, entre autres fonctions, est une véritable usine à hormones qu’il déverse dans la circulation maternelle et accessoirement fœtale. Nous considérerons les hormones féminines par excellence : la progestérone et le groupe des œstrogènes.
La progestérone n’est pas une hormone « fantaisiste », c’est une hormone « laborieuse ». Elle est indispensable au maintien de la grossesse car elle rend le muscle utérin quiescent, l’empêchant d’expulser l’œuf à tous les stades de la gestation. Nous en voulons pour preuve l’action de l’anti-progestérone : le RU 486 qui permet l’arrêt de la grossesse à n’importe quel stade.
Pendant toute la grossesse, la production de progestérone par le placenta augmente de façon à peu près linéaire pour atteindre à terme des taux supérieurs de plusieurs dizaines de fois à ceux de la seconde phase du cycle menstruel. Au moment de la délivrance, le taux chute très brutalement dans le sang maternel pour atteindre pratiquement zéro à la fin de la première semaine du post-partum. Pour autant, cette chute ne peut être assimilée à un désordre. La progestérone a fait son travail pendant neuf mois, au passage elle rend un dernier service au fœtus en participant, par sa chute même, à la mise en route de la lactogenèse ; puis elle disparaît discrètement dans l’indifférence.
Les choses semblent toutes différentes pour les œstrogènes, groupe d’hormones ainsi dénommées car susceptibles, chez l’animal, de déclencher l’œstrus, état particulier de la femelle qui accepte le coït. Oestrus signifie « fureur » en latin ; c’est la période du rut. Hormones dites « de l’amour », les œstrogènes sont sécrétées par le placenta pendant la grossesse en quantité telle qu’à terme leur taux dans le sang maternel est mille fois supérieur au taux le plus élevé d’un cycle normal, au moment du pic préovulatoire.
En revanche, et cela ne manque pas de piquant, le placenta est incapable d’élaborer les œstrogènes à partir de précurseurs maternels, il le fait pour 90 %, à partir d’un précurseur surrénalien fœtal qui n’est autre que la DHEA. Si l’on croit (car pour le moment nous ne sommes que dans le domaine de la croyance) que la DHEA est l’hormone du bien-être par ralentissement du vieillissement cellulaire, celle-ci est fournie par le fœtus au placenta qui en fait pour la mère l’hormone de l’amour. Malheureuse- ment, cette belle histoire prend fin rapidement. Le chenapan n’a plus besoin de sa mère, il la quitte, la privant très brutalement de tout cet arsenal endocrine.
Leur chute après la délivrance est telle qu’ils sont à peine dosables dans le sang maternel au deuxième ou au troisième jour du post-partum. Il paraît alors légitime de parler de désordre. La privation aussi brutale d’œstrogènes ne se retrouve que dans une seule situation : l’ablation chirurgicale des deux ovaires (par exemple pour tumeur), chez une femme entre 20 et 40 ans, en pleine période d’activité génitale. Tous les gynécologues ont vécu ce genre de situation. La ménopause chirurgicale n’a rien à voir avec la ménopause naturelle. En dehors de l’impact psychologique, toujours considérable, les troubles physiques s’installent très rapidement avec une intensité décuplée.
Sans pouvoir extrapoler, il paraît légitime d’imaginer que la chute très brutale des œstrogènes après l’accouchement soit en partie à l’origine du malaise indéfinissable que l’on retrouve presque toujours chez les accouchées récentes.
Il faut aussi considérer une troisième hormone, la prolactine d’origine ante-hypophysaire. Contrairement à la croyance générale, la prolactine chute après l’accouchement. Au cours de la grossesse, son taux s’est régulièrement élevé pour atteindre des chiffres dix à vingt fois supérieurs à ceux d’un cycle menstruel. De plus, en fin de grossesse, sa sécrétion a perdu son caractère pulsatil. Dès l’accouchement, le taux s’effondre tout en restant supérieur au taux normal hors grossesse. Au quatrième jour, la sécrétion pulsatile reprend ; au quinzième jour, la prolactine est revenue à son taux normal. Cette courbe est indépendante de l’allaitement ; mal- gré tout, chez la femme qui allaite, chaque succion du mamelon entraîne une sécrétion de prolactine en pic, celui-ci devenant de plus en plus faible avec le temps. La chute brutale du taux de prolactine semble avoir intéressé un certain nombre d’auteurs. Charvet et Chadeyron, dans le livre de Vokaer, montrent que celle-ci prend certainement une grande part dans les causes de la dépression précoce du post-partum aux troisième, quatrième et cinquième jours. Cependant, cette affirmation n’a pas été argumentée.
Par analogie, le mot crise signifie une « phase grave dans l’évolution des choses, des événements… ». Comment un obstétricien peut-il percevoir cette phase dans le post-partum, en dehors de toute pathologie ? Il est en contact avec les jeunes mères à deux moments très différents, le premier en faisant ses visites quotidiennes au cours de l’hospitalisation de quatre à cinq jours, le second deux mois plus tard au cours de la consultation postnatale.
La jeune femme a accouché, dans 90 % des cas, par voie basse et sans complication majeure. Les 24 premières heures sont généralement euphoriques. L’accouchement est terminé, le bébé est toujours magnifique ; il se dégage de la mère une sorte de plénitude et même de fierté devant le chef-d’œuvre qu’elle vient de faire. Pourtant, les mères ne parlent que de cet accouchement qui vient de se passer et exceptionnellement de leur bébé. On peut se demander si ce silence n’annonce pas la suite. Quant à l’euphorie, il m’a semblé qu’elle prenait sa source essentiellement dans l’éloignement des angoisses de l’accouchement. Préparation ou pas, péridurale ou pas, l’accouchement a mauvaise réputation. Après un tel obstacle, il paraît légitime de se laisser aller à quelque euphorie.
Malheureusement, très souvent, les choses se gâtent vite. Aux deuxième, troisième, quatrième jours, l’euphorie n’est plus de mise. La puéricultrice, l’auxiliaire, la sage-femme de soins disent : « Il faut aider madame X, elle fait son baby-blues. » Mais que veut dire le baby-blues ? C’est certainement très complexe sur le plan psychique mais tout n’est pas psychique. Soyons simplement attentifs et nous percevrons beaucoup de choses.
L’accouchement est une dépense d’énergie très importante qu’il faut réparer ; il est normal que l’accouchée soit asthénique ; elle a fréquemment des troubles du sommeil même quand le bébé ne pleure pas la nuit. Mais ce qui domine dans son discours, c’est qu’elle n’avait pas imaginé à quel point la venue du bébé allait bouleverser le bien-être dans lequel elle s’était installée en fin de grossesse. Elle a d’abord perdu la vedette dans le déroulement du scénario ; désormais, la vedette c’est le bébé ; elle ressent l’enfant comme une barrière entre elle et son mari. Enfin et surtout, si elle est primipare, elle est terrorisée devant le berceau par la responsabilité qui lui incombe. Elle a l’impression qu’une montagne de choses inconnues et horriblement difficiles se dresse devant elle, et que jamais elle n’en sortira sans dégâts pour elle et son enfant.
Il y a effectivement de quoi être déstabilisée ; je ne parle pas de psychiatrie mais de vécu de tous les jours. Ne peut-on pas commencer à penser que « la grossesse c’était “l’ordre”, le post-partum c’est « le désordre » ?
Le problème de cette jeune mère, c’est l’apparition de son nouveau-né dont elle a l’impression qu’il occupe tout l’espace. Aucune mère ne m’a jamais dit : « Je déteste cet enfant. » Alors elle exprime son malaise de façon indirecte. Elle raconte combien la fin de la grossesse était confortable et agréable et combien elle aurait aimé que cela dure longtemps. N’est-ce pas la nostalgie de la période où tout pour elle était en ordre ? De plus, le désordre est presque toujours entretenu par la famille et l’entourage qui globale- ment ne comprend rien. Une naissance est un événement heureux ; il faut donc faire la fête autour de cette jeune mère qui donne le change de son mieux au prix d’efforts qu’on aimerait lui voir économiser. La grand-mère du bébé, qui a vraisemblablement ressenti le même désarroi il y a vingt- cinq ans, ne s’en souvient plus, et cela est rassurant.
Deux mois plus tard l’obstétricien revoit la patiente pour la consultation postnatale. La situation est totalement différente.
Si le baby-blues dure au-delà de quinze jours, nous sortons du cadre de mon propos pour entrer dans la pathologie qui relève d’un autre spécialiste. Mais pour la majorité des accouchées qui ont réussi à métaboliser les difficultés des premiers jours, les problèmes ne sont pas pour autant terminés. Dans la majorité des cas, le père entre assez rapidement en lice dans la problématique maternelle.
Pour peu qu’on l’y invite quand on perçoit un mal-être, la mère va ver- baliser des choses qui à nous paraissent bien banales, mais qui sont très douloureuses pour elle.
Quelle est ma place dans le trio nouvellement constitué ? Suis-je devenue la mère exclusive de l’enfant au détriment de mon conjoint ? C’est le cas le plus fréquent. Suis-je au contraire redevenue la maîtresse de mon conjoint au détriment de l’enfant ? C’est le moins fréquent. Elle exprime presque toujours une immense difficulté à assumer les deux identités. La terreur des premiers jours devant le berceau a disparu. Elle maîtrise le code des soins à l’enfant ; elle entretient avec lui des rapports plus calmes et plus rationnels ; elle tisse chaque jour plus avec lui un lien affectif. Mais tout cela est-ce avec ou contre le père ? Ou bien s’est-elle précipitée dans les bras de son conjoint pour reconstruire le couple amoureux antérieur (l’homme souvent ne demande que cela) mais quid de l’enfant ? Elle se trouve dans un équilibre instable que Pasini a très justement qualifié : « Un terrain vague en copropriété. »
Dans cette rupture d’équilibre, il lui manque une clé de taille : l’attitude du père. Même quand celui-ci, comme on le voit de plus en plus, ne lui complique pas plus les choses en voulant prendre sa place (nouveau père oblige), il nous paraît qu’il doit être bien subtil, ce père, pour s’articuler de façon adéquate au nouveau trio ! Père, mari, amant, le tout à doses et surtout à séquences harmonieuses : tout cela n’est pas simple mais indispensable à la jeune mère.
Il est exceptionnel qu’une femme sorte totalement indemne d’un accouchement par voie basse, tant au niveau local que globalement dans son enveloppe corporelle. La reprise d’une activité sexuelle est souvent difficile, ce que beaucoup de patientes résument ainsi : « Il demande et moi j’ai peur et je n’ai pas envie. » Je n’insisterai pas sur les cicatrices douloureuses vulvaires ou vaginales, elles guérissent toujours ; mais la sensibilité périnéo-vaginale sera modifiée, et si elle s’améliore avec le temps, elle sera différente après l’accouchement.
Le couple doit réapprendre une nouvelle anatomie, une vulve plus béante, un vagin plus vaste. Ils retrouveront tous les deux, peu à peu, les mêmes sensations de plaisir après ce nouvel apprentissage qui peut-être à la source de malentendus ou de conflits. Cela d’autant plus si la femme allaite car les œstrogènes effondrés après la délivrance restent inexistants jusqu’au 4e ou 5e mois, ce qui fait perdurer une atrophie muqueuse qui n’arrange rien.
À cet aspect local s’ajoute une modification globale de l’enveloppe corporelle : la silhouette n’est plus identique, l’abdomen n’a plus la même tonicité, la peau garde souvent quelques vergetures, les seins ont presque toujours perdu leur galbe et par la même une partie de leurs capacités érogènes.
C’est ce qu’écrit madame de Kervasdoué, gynécologue, dans un très bel article sur la sexualité du post-partum : « Toutes les zones habituellement dévolues au plaisir sont transformées en lieu de souffrance et rendent caresses et rapports problématiques. Or pour avoir envie de rapports une femme doit se sentir bien dans son corps. »
Une chose m’a frappé dans ma pratique : la jeune femme en difficulté dans le post-partum vient à la consultation postnatale seule, et je me suis toujours demandé, sans trouver de réponse, si c’était pour parler librement de ses problèmes ou pour laisser entre parenthèses durant deux ou trois heures et l’enfant et son père. En revanche, si elle a une cohésion psychique suffisante pour avoir fait « la part du feu » et si, de plus, elle a le mari subtil déjà évoqué, elle vient en famille avec bébé qu’elle montre et avec conjoint qu’elle montre peut-être un peu aussi. Celle-ci ne demande pas d’aide, elle n’en a aucun besoin.
Que peut-on faire pour aider les jeunes mères à émerger de ce que j’appelle le désordre postnatal ? Finalement pas grand-chose sauf leur dire que ce qu’elles vivent est très ennuyeux, très désagréable, mais que cela guérit toujours, dans le strict cadre de la normalité bien sûr.
La nature répare toujours les dégâts. La preuve : vingt-cinq ans après la grand-mère du bébé ne se souvient de rien.